Juin 2019: nouvelle rentrée scolaire aux Philippines et nouveau départ pour nos petits protégés.
Pour mieux répondre aux besoins des enfants, nous avons décidé de mettre un terme à l'expérience d'école démocratique.
Une telle école à l'intérieur d'un bidonville était trop perméable aux influences contraires de l'environnement.
L'école faisait également l'objet de discriminations, le voisinage considérant que cette "pseudo-école" n'était que pour les enfants inadaptés, les "moins que rien".
Ces facteurs externes nous ont amenés à reconsidérer notre stratégie.
Nous avons opté pour un retour des enfants à l'école publique et ainsi mieux réintégrer nos élèves à la société environnante.
Et avec dans leurs bagages, des compétences plutôt impressionnantes de la part de "moins que rien"!
Mais pour les plus défavorisés, rien n'est jamais simple.
La grosse majorité de nos enfants n'a aucun papier officiel, à commencer par un certificat de naissance.
Or, il est impossible d'inscrire un enfant à l'école publique sans son certificat de naissance.
Notre équipe a donc dû affronter les affres de la bureaucratie pour obtenir leur certificat de naissance.
Mais pour nombre d'enfants, la situation était encore pire.
Impossible d'obtenir un certificat de naissance... puisque ces enfants n'avaient jamais été enregistrés!
Ces enfants n'avaient à ce jour aucune existence légale!
La loi philippine, grandement empreinte de religion catholique, propose une parade: le baptême.
Aux Philippines, un certificat de baptême est une "preuve" suffisante pour obtenir un certificat de naissance.
Le retour à l'école publique passe donc par... l'église!
Ainsi, nous avons organisé un baptême de masse pour 14 de nos élèves, la veille même de la rentrée scolaire.
La présence d'au moins un parrain ("ninong") et d'une marraine ("ninang") étant obligatoire, le personnel de la fondation a été sollicité.
Situation assez cocasse, un de mes collègues, prêtre bouddhiste, est ainsi devenu ninong.
Bah, aux grands maux, les grands remèdes!
Deux jeunes demoiselles ont voulu de moi comme leur ninong,
grande responsabilité que j'ai accepté avec plaisir!
Les formalités administratives étant réglées, voici venue l'heure de la grande rentrée!
Désormais, l'école aux Philippines est obligatoire à partir de Kindergarten (= Grande Section).
Or, pour certains de nos enfants de 10 ou 11 ans, ce fut la première rentrée à l'école publique.
Ces enfants relativement âgés se retrouvèrent donc au milieu d'une classe d'enfants de... 5 ans!!!
D'autres avaient déjà fréquenté l'école, mais avaient quitté ce système qui les avait broyés.
Désormais pourvus de bases solides et plus confiants, ils sont armés pour prendre leur revanche sur le système, ou au moins y "survivre".
Une élève avait quitté le système après 3 années passées dans le même niveau, avec des notes toujours plus mauvaises. Elle vient d'y être rescolarisée (en Grade 4 = CM1).
Dernièrement, un soir, elle est rentrée de l'école avec fierté: son enseignante, impressionnée par l'étendue de ses connaissances, lui a demandé si elle venait d'une école privée!
Une autre enfant de 8 ans avait arrêté l'école: elle était en Grade 3 (CE2) mais ne savait pas encore lire. Elle était totalement noyée dans les apprentissages.
Après un an avec nous, retour à l'école, toujours en CE2: elle sait désormais lire, écrire, compter et ça carbure!
Plus précieux encore que leur niveau scolaire, les enfants ont gagné la reconnaissance.
Ils passent du statut d'"inadaptés", victimes de discrimination, à celui d'exemples de réussite.
Même si le niveau des enfants est désormais solide et l'estime de soi renforcée, il nous faut rester vigilants et ne pas baisser notre garde trop tôt.
Ces enfants ont été durement blessés par la vie, et même si la situation est relativement mieux pour eux, ils restent encore sur chemin d'une longue convalescence.
La rentrée ne s'est pas faite sans heurts et j'ai eu de quoi faire...
La première semaine de classe, il m'a fallu arpenté les couloirs de l'école publique en long, en large et en travers pour guider, rassurer ou aller à la pêche aux infos.
Désormais, j'y suis connu comme le blanc. Autant avec loup que sans... 😂
Toute forme de support est la bienvenue. Cela prend parfois des formes inattendues.
Dès que j'ai l'occasion, je vais accompagner les enfants sur le chemin de l'école, entre camions poubelles et monceaux d'ordures.
Ou alors, je vais les attendre à la sortie des classes.
Comme ils sont nombreux, arrivent et sortent à des horaires différents, ça me fait parfois un sacré nombre d'allers et retours!
Certaines personnes se demanderont peut-être pourquoi je fais ça.
Je ne suis pas leur parent, après tout...
La défaillance éducative de certains parents ne se limite pas aux (manques de) connaissances en lecture ou en maths.
Chaque enfant est différent, mais tous ont besoin de se sentir plus ou moins soutenus.
Indubitablement, certains ont besoin de plus de soutien et d'attention que d'autres.
Ce qui peut sembler n'être qu'un "petit geste" pour beaucoup d'entre nous peut en fait avoir une influence CONSIDERABLE sur la réussite de ces enfants... ou leur échec.
Mon expérience parle: pour les enfants en question, c'est largement plus important que mes séances d'enseignement!
Osez plonger dans vos souvenirs d'enfance. Vous verrez à quel point ces expériences "anecdotiques" ont pu vous marquer durablement, que ce soit en bien ou en mal.
Sinon, sans aller si loin, il me suffit simplement de lire la joie sur le visage de ces enfants...
Un visage qui semble afficher cette fierté,
cette victoire contre la fatalité,
ce message ultime:
"J'existe!"