Il était une fois une petite île, un petit confetti de paradis
perdu au milieu de l’océan.
Ses habitants vivaient en harmonie avec la mer, elle était à la
fois leur garde-manger avec la pêche et le ramassage de coquillages, et le
théâtre de leurs jeux aquatiques de toutes sortes.
Mais voilà : un jour, un requin se trouva par hasard à errer
dans le lagon, et il eut la fâcheuse idée d’attaquer un enfant.
L’enfant atrocement dévoré fut montré à tout le village. Les
habitants furent traumatisés : ils avaient peur qu’un requin ne les
attaque, eux ou les personnes qu’ils aimaient.
Du coup, quelques personnes interdirent à leur famille d’aller se
baigner.
Au fil du temps, la peur se répandit. Tant et si bien qu’un jour,
le chef du village lui-même décida d’interdire la mer pour tous les habitants
de l’île.
Certains trouvaient vraiment dommage de ne plus aller en
mer : la vie serait plus dure sans poissons pêchés, sans coquillages
ramassés et enfin, sans jeux dans l’eau…
Mais c’était le seul moyen d’éviter les attaques de requins et la
sécurité était plus importante que tout.
Cette histoire s’était passée il y a très très longtemps.
Tellement longtemps que les gens ne se la rappelaient plus
exactement.
Mais même s’ils n’en savaient plus vraiment la cause, il était
toujours interdit de se baigner.
A l’école, on enseignait aux enfants à éviter la mer à tout prix,
sinon ils risquaient les pires dangers !
C’est ainsi que tous les habitants de l’île grandissaient dans la
crainte de la mer.
Tous sauf un.
En effet, il se trouvait qu’un petit enfant, un orphelin, avait
été de tout temps fasciné par la mer.
Tous les jours, il s’asseyait sur la plage et il l’observait les
yeux grands ouverts pendant d’interminables heures. Il était bien sûr au
courant de tous les dangers qui se disaient sur elle, mais il ne pouvait
s’empêcher d’être attiré.
Si bien qu’un jour, il décida, en cachette, de mettre un pied dans
l’eau.
Il avait peur de ce qui pouvait lui arriver, on lui avait raconté
tant de choses atroces sur la mer, et surtout sur les requins !
Mais il ne se passa rien.
Alors il mit l’autre pied dans l’eau. Et il ne se passa rien.
Alors il rentra dans l’eau jusqu’à la taille. Et il ne se passa
rien.
Alors il plongea entièrement et resta jouer dans l’eau pendant
quelques minutes. Et là encore, il ne se passa rien.
Rien, sauf le plaisir, un plaisir comme il n’en avait jamais connu
de toute sa vie.
Le lendemain, l’enfant retourna se baigner, cette fois-ci sans se
cacher.
Les autres habitants furent horrifiés. Ils lui lançaient à tout
va :
« Tu n’as pas le droit de faire ça ! »
« C’est beaucoup trop dangereux ! »
« Reviens, tu vas te faire dévorer ! »
« Tu es inconscient, mon pauvre ! »
Puis au bout d’un moment, voyant que l’enfant ne revenait
pas :
« On t’aura prévenu ! »
« Tant pis pour toi ! »
Mais l’enfant revint encore une fois sain et sauf de sa baignade.
Une fois à terre, les habitants essayèrent de le ramener à la
raison.
En vain : pour lui, la vie sans mer ne valait pas la peine
d’être vécue.
Il expliqua que la mer n’était qu’un risque parmi tant d’autres,
que le risque faisait partie de la vie, et qu’il fallait apprendre à vivre avec
et le gérer. Vouloir supprimer tous les risques, c’était s’arrêter de
vivre !
Mais l’enfant ne convainquit personne. Pour les habitants, se
mettre ainsi volontairement en danger, c’était de la pure inconscience, presque
de la folie !
Les jours passèrent, et l’enfant apprit à comprendre la mer, ses
trésors et ses dangers. Il inventait toujours plus de jeux merveilleux, de
plongeons formidables, de chasses au trésor englouti. Il apprit à connaître ses
habitants, et même les requins ! Il apprit ainsi à mesurer les risques.
Sur le rivage, des enfants s’asseyaient à leur tour sur le sable
et ils regardaient avec envie l’enfant qui s’ébattait dans tous ces jeux
fantastiques.
Beaucoup de parents interdisaient désormais à leurs enfants
d’approcher celui qu’ils considéraient comme un fou.
Mais malgré cela, les enfants étaient tous les jours un peu plus
nombreux sur la plage.
Et ils observaient. Et ils voyaient que, de tout ce qu’on leur
avait raconté à l’école, rien ne se passait.
Alors, un jour, un enfant un peu plus hardi que les autres osa
mettre un pied dans l’eau.
Les autres enfants le regardèrent, stupéfaits.
Puis, l’enfant mit l’autre pied.
Puis, il rentra jusqu’à la taille.
Puis, il plongea entièrement et partit aussitôt rejoindre l’autre
enfant pour jouer.
Alors, tout s’accéléra : d’autres enfants s’approchèrent de
l’eau à leur tour, et petit à petit, rentrèrent dans l’eau.
Quand leurs parents l’apprirent, ils furent horrifiés et ils
interdirent à leurs enfants de recommencer.
Mais la plupart des enfants y retournèrent malgré tout.
Au fil des jours, certains parents finirent par s’y faire, et
certains même tentèrent une baignade à leur tour.
Les habitants de l’île purent reprendre la pêche petit à petit,
ainsi que le ramassage de coquillages, et les conditions de vie s’améliorèrent
grandement sur l’île.
Alors, à tous à ceux qui oseraient voir quelques convergences avec
notre société, je serais tenté de leur dire :
« VENEZ VOUS BAIGNER ! »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire